Ligne à haute tension alignée avec l'électrojet auroral ou "Impulsion verte critique". (générée par Dall-E)

Les perturbations géomagnétiques que nous avons vues dans l’article précédent ont un effet non seulement dans l’ionosphère mais aussi à la surface de la terre, en créant des Courants induits géomagnétiquement (CIG), potentiellement très dommageables pour nos réseaux électriques et par effet domino sur nos réseaux technologiques, économiques et sociétaux, tant dépendants de l’électricité. Comme tous les articles en partie 1, nous cherchons ici à en comprendre les notions physiques.

Rappel des index de perturbation majeure du champ géomagnétique

Impulsion préliminaire (>100 nT/min)

Plus le départ de la tempête est brusque, plus forts seront les CIG de la tempête. Le seuil de danger de l’indice db/dT est fixé à 100 nT/min en impulsion préliminaire et des dégâts sur les réseaux électriques y sont constatés lors de cette seule phase, très brève. Elle est liée au choc de reconnexion de la magnétosphère avec la masse coronale et à l’afflux massifs de plasmas qui s’engouffrent dans l’ionosphère par les pôles, perturbant horizontalement le champ géomagnétique.

Impulsion principale (>500 nT/min – alerte majeure)

Côté nuit, les supers sous-orages géomagnétiques, issus des reconnexions dans la magnétoqueue, sont considérés comme des urgences majeures à 500 nt/min.

Pour la France, les prévisions de ces impulsions géomagnétiques sont données par l’IRF de l’institut de sciences spatiales de Suède.

Prévisions spatiales dB/dt sur l’Europe de l’ouest en tempête géomagnétique mineure (G1) le 18 décembre 2013. Source : ESA, IRF.

Globalement, sur un événement type Carrington (retour 250 ans), il est estimé qu’une pulsation électromagnétique de 2400 nt/mn génère environ 5V/km (erreur de +/- 2 V) en CIG.

L’importance de la latitude de l’ovale auroral en CIG

Schéma très théorique qui montre que plus l’ovale auroral descend en latitude magnétique (la composante Bx du champ géomagnétique), plus la tempête génère de puissants CIG, notamment lorsque l’ovale auroral arrive à 30°-40° de latitude magnétique, ces CIG doivent être considérés comme des urgences majeures pour les systèmes électriques à terre. Selon cette étude, il y a alerte quand l’indice Dst est à -600 nT et urgence à -900 nT.

Selon Beggan, C. et bien d’autres, les CIG sont avant tout déterminés par la position de l’ovale auroral, de sa force et de l’amplitude de ces impulsions locales. L’influence des autres facteurs, notamment de la conductivité des sols, ne jouerait qu’un rôle très secondaire.

Le rôle secondaire de la conductivité lithosphérique

Influence de la résistivité lithosphérique sur le champ géoélectrique

Cependant, si c’est le champ géomagnétique terrestre qui conduit les CIG, on devrait retrouver une signature claire des variations du champ géomagnétique dans celles du champ géoélectrique en condition de tempête géomagnétique. C’est bien le cas mais pas tout à fait.

Selon Jeffrey J. Love et Andrei Swidinsky, qui ont modélisé ce phénomène sur une tempête géomagnétique autour de l’observatoire de Kakioka au Japon, 87% de la variance du champ géoélectrique pouvait y être expliquée par celle du champ géomagnétique et 13 % de cette variance est induite par la conductivité lithosphérique, ce qui est finalement loin d’être résiduel à une échelle opérationnelle et complique la tâche des modélisateurs de CIG.

Séries temporelles des données de Kakioka « 1 s » montrant
(a) la variation de l’orage magnétique, Bx (bleu) et By (vert)
(b) la convolution par induction, χR∗ΔBx (bleu) et χR∗ΔBy (vert),
(c) la variation du champ électrique, Ey, mesurée (noir) et estimée (rouge),
(d) la variation du champ électrique, Ex, mesurée (noir) et estimée (rouge),
le tout pour la période allant du 29 octobre au 31 octobre 2003.

Mais cette corrélation dans la variance des champs géomagnétiques et géoélectriques est loin d’être évidente pour Dimmock et al. qui, sur une étude de CIG dans la péninsule scandinave, ont trouvé que « Le pic d’amplitude du GIC s’est produit au cours d’un intervalle surprenant où l’amplitude absolue des perturbations géomagnétiques était plus faible que lors des intervalles précédents, où aucun déclencheur en amont n’était visible et où les critères d’entraînement en amont précédents n’étaient pas particulièrement forts. ».

Les programmes de cartographie de la résistivité lithosphérique

Toutes les grandes nations spatiales ont des programmes pour cartographier l’impédance et la conductivité des sols et sous-sols.

Par temps calme, selon l’ESA à l’issue de la collecte de données du satellite Swarm, 94% du champ géomagnétique terrestre est généré par les mouvements du fer en fusion dans le noyau terrestre à 3000 km sous terre. Les 6% étant attribués à d’autres facteurs parmi lesquels la présence de roches magnétisées dans la lithosphère. Suite à ces campagnes avec le satellite Swarm, a élaboré une cartographie mondiale du champ magnétique lithosphérique.

Carte mondiale du champ magnétique lithosphérique élaborée par l’ESA à l’issue des campagnes de données du satellite Swarm.

Le Canada dispose d’un réseau national d’observatoires du champ géoélectrique qui le mesurent en temps réel en plusieurs points du pays ; données gratuitement accessibles en ligne et depuis le début des mesures si besoin. Comme les Etats-Unis, le Canada dresse également un inventaire cartographique national très fin des conductivités et résistivités des sols et sous-sols de la lithosphère.

Résistivité et points d’entrée sur le réseau électrique

Les facteurs jouant sur la conductivité/résistivité lithosphérique sont principalement :

  • le substrat (couches lithosphériques),
  • la teneur en eau,
  • la salinité (ou plus globalement la concentration ionique),
  • la température (un sol chaud est plus conductif qu’un sol froid),

Ces facteurs lithosphériques sont un facteur important surtout dans la capacité des CIG à entrer dans le réseau électrique. Ainsi, plus la lithosphère est conductrice moins il y aura de CIG dans les réseaux électriques. A l’inverse, plus la lithosphère sera résistive, plus les CIG chercheront un passage dans le réseau électrique, très conductif.

Schéma de l’USGS édité en 2020 montrant qu’un CIG (E) circulant dans le sol (induit par les mouvements du champ géomagnétique) emprunte les structures les plus conductives. S’il rencontre trop de résistivité dans le sol, il aura alors tendance à chercher un point d’entrée et un point de sortie dans le réseau électrique, car très conductif.

La proximité d’océans ou de larges surfaces d’eau sera un facteur aggravant pour les réseaux car ces étendues transmettent des flux intenses de CIG qui chercheront là aussi un passage dans les réseaux électriques pour s’engouffrer lorsqu’ils atteignent la terre ; terre beaucoup plus résistive que l’eau.

Schéma (à lire de droite à gauche) sur le rôle des Courants induits géomagnétiquement (CIG) en zone côtière et sur la façon dont ils pénètrent dans les réseaux électriques (NOAA, 2015).

Encore un point hypothèse liée à l’impédance à confirmer ici. Il faudrait rajouter un facteur purement local lié à la configuration du talus côtier sous-marin. Selon la configuration de ce talus, on aura une augmentation ou une diminution de l’amplitude de tension et de raccourcissement des phases du CIG à l’approche de la côte, le rendant plus ou moins puissant. Cela n’enlève rien au fait que les CIG seront intenses à l’arrivée sur la côte mais il peut y avoir en plus un « effet de jet en intensité » dû à la configuration du talus côtier sous-marin (entre guillemets car ce terme n’est pas du tout employé en CIG). Autrement dit, dans le meilleur cas, si ce talus est très abrupte et se termine par un plateau assez long jusqu’à la plage, le CIG sera modéré car le gros de l’onde électrique sera renvoyé en sens opposé par la verticalité du talus, comme si elle rencontrait un mur sous-marin avant que le reliquat de CIG dans les derniers mètres sous la surface marine n’atteigne mollement la plage dans sa phase finale de plateau. Ce sont des configurations que l’on retrouve souvent dans les récifs coralliens par exemple. Bref, cette suggestion sur l’importance supposée de la topographie du talus côtier sous-marin exprimée ici, si elle est validée (ce qui peut être assez aisé en modélisation ou en retour d’impacts CIG côtiers), pourrait être utilisée dans les projets d’installation des infrastructures électriques pour déterminer les emplacements les plus favorables ou pour repérer les sites les plus à risques, dans le cas de la prise en compte de tempêtes géomagnétiques.

Mais il n’y a pas que des facteurs physiques qui concourent à mener au blackout électrique. Il y a également des facteurs technologiques et humains qui peuvent impliquer plus ou moins de vulnérabilités ou de robustesses des réseaux électriques.

Les facteurs de vulnérabilité des réseaux d’électricité

Le rôle du transformateur dans les réseaux d’électricité par temps calme

A la sortie d’une centrale électrique, par exemple nucléaire, le transformateur a pour but transformer la tension en sortie de centrale (20 000 V) en tension plus élevée (225 000 V) afin que le courant soit transporté sur de grandes distances avec un minimum de perte, via les lignes à haute tension, vers les centres de distribution (zones industrielles, centres urbains…). Puis, arrivé aux centres de distribution, ce courant est de nouveau transformé vers de plus basses tensions jusqu’à atteindre les basses tensions usuelles de 220-230 V (Alternate current ou « AC » en anglais) pour la distribution aux particuliers. Dans le but de transformer ces tensions, on fait passer le courant dans des transformateurs, qui sont de grandes bobines de cuivre qui utilisent le principe de l’induction électromagnétique.

Dans un transformateur monophasé, il y a deux bobines qui forment un noyau, avec une bobine primaire, d’entrée du courant continu (DC en anglais) et une bobine secondaire de sortie du courant, d’où sort un courant alternatif (AC en anglais). Lorsque le courant entre dans la bobine primaire, il crée un champ magnétique en mouvement qui induit une tension dans la bobine secondaire. Le rapport du nombre de spires entre les deux bobines détermine (par induction électromagnétique) le changement de tension du courant dans la bobine de sortie. Les transformateurs monophasés en courant continu haute tension (CCHT) sont maintenant peu fréquents, anciens ou utilisés pour des cas de transport électrique sur de très longues distances ou de connexion sous-marine.

Dans le transformateur tri-phasé, de plus en plus fréquent dans les réseaux de transport d’électricité, il y a 3 noyaux de ce type, donc 6 bobines de cuivre. Le transformateur tri-phasé ne fonctionne pas en courant quasi continu en entrée mais en courant alternatif (AC).

Les harmoniques des CIG sur le réseau HT

Lorsque le CIG entre sur le réseau, il a une faible fréquence et est donc considéré par les transformateurs comme du courant continu (quasi continu en fait – DC). Cependant, ce CIG créé une magnétisation supplémentaire dans la bobine d’entrée pouvant saturer le noyau. La saturation du noyau du transformateur par le CIG se traduit dans le courant alternatif de sortie (AC) par des demis-phases très dentelées appelées « harmoniques« , perturbant les relais et systèmes de protection, pouvant mener à des pertes de puissance, à l’arrêt de lignes haute tension, voir à l’effondrement d’un réseau électrique.

Type de saturation d’un noyau de bobine de transformateur en demi-phase causée par un courant induit géomagnétiquement (DC)

L’échauffement des bobines

Mais cette saturation du noyau par le CIG se traduit aussi par des courants de Foucault, qui échauffent plus que prévu le transformateur et la force électromotrice du transformateur se perd alors en chaleur. Si les CIG lors de tempêtes géomagnétiques relativement habituelles n’affectent pas la température générale des transformateurs triphasés, certains points de bobines peuvent connaître des points chauds, endommageant les enroulements de cuivre. Les transformateurs monophasés sont beaucoup plus vulnérables et peuvent fondre à des tensions bien plus basses.

De plus, l’échauffement des transformateurs représente une charge inductive importante sur l’ensemble du réseau, qui peut être critique en contexte de forte demande sur le réseau, ce qui peut entraîner des délestages, voir une coupure de l’ensemble du réseau électrique.

Importance de l’alignement et de la longueur des lignes HT suivant l’axe de mouvement des perturbations géomagnétiques

Schéma d’une ligne à haute tension orientée dans le même sens que le mouvement du champ géomagnétique lié à l’électrojet.

L’orientation et la longueur des lignes à haute tension sont aussi des facteurs de vulnérabilité. Ainsi, si la ligne à haute tension suit le croissant rouge de l’ovale auroral (lié à la position de l’électrojet, souvent orienté ouest-est) les CIG les plus forts auront là aussi plus d’opportunités de trouver un point d’entrée dans le réseau par le sol que si la ligne à haute tension est perpendiculaire à la composante horizontale du champ magnétique. Ainsi, en fonction de la prévision de l’ovale auroral on peut avoir un indice des ligne HT les plus exposées.

Rapports entre tensions électriques du champ géoélectrique (à gauche) et l’orientation des lignes à hautes tension vis à vis du champ géoélectrique (en haut en °) à partir de laquelle les transformateurs monophasés s’effondrent (cases rouges). Tableau issu de modélisations sur le réseau finlandais (puissance d’écoulement de 400-kV).

L’intensité du champ géoélectrique pendant les tempêtes géomagnétique peut être classée comme :

  • modéré (20-100 ans, 2.5 V/km),
  • forte (~100 ans, 5 V/km) ,
  • extrême (>100 ans, 10-20 V/km),

La longueur de la ligne HT est aussi très importante dans la vulnérabilité des réseaux électriques car plus celle-ci sera longue (et orientée dans l’axe de mouvement horizontal du champ géoélectrique), plus fort sera le voltage généré par le champ géoélectrique et donc plus forts seront les CIG entrant dans le réseau.

Précision importante : sur les tempêtes géomagnétiques classiques, même G5, les gestionnaires de réseau ont l’habitude que les champs géoélectriques se déplacent d’est en ouest, parallèlement aux mouvements des champs géomagnétiques des sous-orages dans l’ovale auroral. Ils ont donc une connaissance plus fine des réactions des lignes sensibles orientées est-ouest. Mais dans le cas d’une tempête géomagnétique type événement de Carrington, selon moi, la plongée de l’ovale auroral du pôle jusqu’aux très basses latitudes va créer une impulsion géoélectrique initiale nord-sud très puissante, brusque puis fluctuante et surtout inédite pour les réseaux électriques (qui ont l’habitude que cette plongée nord-sud se produise dans les zones désertiques de la calotte polaire et non dans les zones peuplées et denses en réseaux électriques). Et on ne parle pas des réseaux aux basses et moyennes latitudes qui n’ont même pas l’habitude de recevoir des impulsions géomagnétiques d’ampleur et qui n’ont donc jamais été retouchés par les opérateurs réseau pour les rendre plus résilients suite aux retours d’expérience acquis.

La vulnérabilité des lignes HT avec le plus de pertes d’énergie en temps normal

Selon R. Piccinelli et E. Krausmann du Joint Research Center de l’UE, les parties du réseau de transport d’électricité avec le plus de pertes d’énergie en conditions normales semblent les plus susceptibles de s’effondrer lors de tempêtes géomagnétiques extrêmes. Cela semble logique car cela veut dire que le réseau électrique laisse s’échapper du courant en certains points ; points de passage entre le sol et le réseau, très conductifs en temps normaux, qui pourront être empruntés massivement par les CIG.

Des temps de réaction trop courts (< 1h)

Il est impossible de mesurer directement à la sortie des éruptions tous les paramètres des masses coronales solaires éjectées. Il faut donc les modéliser à partir d’observations distantes et incomplètes, donnant des fiabilités variables des modèles magnétohydrodynamiques d’EMC comme le modèle MHD EUHFORIA. L’observation directe à certains points entre la terre et le soleil est donc des plus importantes pour rectifier les prévisions et cette mesure directe, notamment avec les magnétomètres, se fait surtout au point Lagrange 1.

Satellite en observation depuis le point Lagrange 1. Ici, l’échelle spatiale n’est pas bonne car le point L1 est beaucoup plus proche de la terre (à 1/100ème de la distance terre soleil).

Malheureusement, ces confirmations par mesures directes dans l’EMC au point L1 (ex DSCOVR), se fait dans le dernier centième du parcours de l’EMC avant d’impacter la magnétosphère, ce qui donne des temps de réaction très brefs, de quelques dizaines de minutes pour faire réagir les opérateurs réseaux. Avec les technologies actuelles, il semble encore très difficile de concevoir un satellite qui resterait à des distantes constantes entre la terre et le soleil mais sur une orbite bien plus proche du soleil, pour gagner en temps de réaction (énergie trop importante à déployer pour les corrections d’orbite liées aux champs gravitationnels, semble t-il).

La sonde Solar Orbiter est bien plus proche du soleil mais son orbite n’est pas stationnaire avec la face éclairée de la terre et c’est donc rare que cette sonde soit dans le champ d’une EMC dirigée vers la terre pour mesurer ses paramètres in situ. Néanmoins, elle montre que l’on peut se rapprocher du soleil avec de puissants boucliers thermiques et il n’est pas interdit d’envisager, un jour, de mailler le soleil de plusieurs sondes comme Solar Orbiter ou comme Solar Probe en orbites longitudinales pour que l’on ait l’une d’entre elles qui soit à coup sûr dans le champ d’une EMC dirigée vers la terre. Nous avons appelé cette hypothèse « X Solar Orbiters »

Temps minimum d’arrivée sur terre d’une EMC (depuis son point de départ du soleil en fonction de sa vitesse en ligne droite) et ses temps de trajet restant, aux points de passage des satellites qui mesurent ses paramètres in situ (Point L1, hypothèse « X Solar Orbiters »).

Pour aboutir à ce tableau, nous avons considéré que la distance magnétopause/terre côté jour de 60 000 Km était assez négligeable sur les temporalités, tout comme les différences de distance liées à l’elliptique de la terre autour du soleil (+/-2,5M de km). La vitesse extrême de 6600 km/s est théorique, issue de modélisations scientifiques (voir 1.1). Dans le pire des cas, l’EMC arrive en ligne droite avec une déviation radiale peu importante, donc ce sont des temps de réaction minimum. Cependant, il n’est pas exclut que deux EMC se choquent, ce qui peut accélérer leurs vitesses, ce cas n’est pas pris en compte ici. Les modèles MHD d’EMC au départ du soleil ont une erreur moyenne de plus ou moins 9h sur le temps d’arrivée (75% avec une marge d’erreur de 9h ; toutes sont prévues dans la marge d’erreur de 24h, selon l’ESA en 2024).

Le facteur humain, grand oublié des études de risques géomagnétiques

A priori, il n’y a rien ou très peu de la littérature à ce sujet dans cette typologie de risques. Ce n’est pas très étonnant car les gestionnaires des systèmes technologiques qui induisent des risques majeurs sont généralement fermés à communiquer leurs défaillances quand celles-ci pourraient déborder dans le domaine public, se réfugiant dans une technicité dont seuls les gestionnaires internes auraient l’expertise en mode « c’est nous qu’on gère ; laissez nous faire« . Mais comme pour les autres risques technologiques (industriels, nucléaires, de rupture de barrage, de transport de matières dangereuses…), la gestion des réseaux électriques en ESE n’est probablement pas épargnée par les erreurs en facteur H, surtout en contexte de tension en tempête géomagnétique extrême avec des délais très courts de réaction. Alors, on va la passer au peigne fin dans le recensement des impacts en partie 2, puisque rien ne ressort à ce sujet.

Pour se donner juste un seul exemple de l’importance du facteur H, à partir des enseignements de cette seule partie dédiée à la physique des Evénements solaires extrêmes (ESE), nous savons que les transformateurs monophasés sont bien plus vulnérables que les transfos triphasés et que changer un tel transformateur prend du temps, d’autant plus de temps si l’événement est à vaste échelle et que l’offre de transformateurs disponibles est dépassée car les transformateurs mettent des mois à une année pour à être produits en temps normal, souvent sur mesure. Un gestionnaire de réseau qui ne les remplacent pas prioritairement (ou ne les durciraient pas suffisamment) par anticipation ne prend pas conscience du rapport coût de changement/bénéfice en diminution du montant des dommages internes et externes sur ESE.

Pire encore, quand les chercheurs du Joint Research Center de l’UE, qui veulent passer à l’échelle européenne les enseignements de la gestion relativement résiliente des réseaux électriques scandinaves face aux tempêtes géomagnétiques et qu’ils demandent aux gestionnaires de ces réseaux où sont les transformateurs monophasés, ils ne reçoivent pas les données.

Mais de qui se moque t-on ? C’est un très mauvais signe en facteur H car cela oblige l’UE, à se plier devant l’opérateur pour obtenir la moindre information (et non l’information primordiale) et donc, à la fin, d’être en phase avec les volontés de l’opérateur, qui a son propre agenda, qui n’est pas forcément celui de la sûreté en conditions exceptionnelles.

De plus, comment vont se comporter les opérateurs réseaux dans leur utilisation des transformateurs déphaseurs, conçus pour soulager un réseau surchargé (l’électricité emprunte les lignes de moins de résistance et, grâce à ces transformateurs, l’opérateur force l’électricité à emprunter les lignes du réseau les moins surchargées) ? Ont-ils été mis dans des conditions similaires à celles d’un stress intense, ressenti lors d’une tempête géomagnétique extrême, donc hors norme, en contexte de demande forte d’énergie par la conso et bourrée d’imprévus, pour mener ce genre d’opération sans erreur H systémique en quelques courtes dizaines de minutes ?

Bref, on va pas en rester là (et comme je le fais, je vous conseille aussi de les pousser sur ce sujet, on est trop peu) car les enjeux publics sont bien trop importants pour que les opérateurs disent aux acteurs publics comme l’UE « circulez, y a rien à voir« . Car en cas de blackout électrique systémique de longue durée sur ESE, ne doutez pas qu’ils se réfugieront dans les discours attendus d’avance « Ah mais l’événement était vraiment hors norme, on pouvait pas faire grand chose et regardez les autres, ils ont morflé aussi » ou, le grand classique du rejet de la faute sur un autre facteur H, « c’est la faute au sous-traitant qui a court-circuité les bloqueurs aux points d’entrée des CIG« , prenant le public pour des demeurés (ce qui finira par se voir à l’heure d’internet où les rapports sortiront sur l’assez faible efficacité de cette mitigation). Mais ne doutez pas une seconde qu’ils useront cet argument jusqu’à la lie pour diluer leur responsabilité et protéger la tête de commandement de l’opérateur réseau des conséquences juridiques de la catastrophe d’un blackout électrique systémique de longue durée.

De l’arrogance à la fuite de responsabilités en passant par l’inévitable manque de transparence, tout ce qui tue la prévention de risques majeurs et génère de terribles catastrophes. Que les opérateurs réseaux en soient conscients, qu’ils communiquent et le public, comme la justice, leur pardonnera l’erreur humaine si elle se produit.

Conclusion

Echelle G de sévérité des tempêtes géomagnétiques sur les grands réseaux d’électricité. Source : NOAA. Traduction et infographie : I-Resilience.

Nous avons enfin traversé les principales notions physiques liées aux tempêtes géomagnétiques, de l’origine des phénomènes solaires extrêmes jusqu’aux impulsions très locales des champs géoélectriques, ici dans les grands réseaux de distribution d’électricité.

Nous considérons maintenant que les principales notions physiques ont été acquises en partie 1.1 sur la genèse des phénomènes solaires aléatoires, en partie 1.2 sur les perturbations radioélectriques, en partie 1.3.1 sur l’origine des impulsions géomagnétiques et ici sur les variations du champ géoélectrique et les coupures massives de courant.

Dans les prochains articles (1.3.3 et 1.3.4), nous traverserons plus horizontalement les réseaux technologiques à terre impactés par les perturbations géomagnétiques (telecom et internet, transports de matières et de passagers, réseaux domestiques…).

Annexes

Piccinelli, Roberta & Krausmann, Elisabeth. « Space Weather Impact on the Scandinavian Interconnected Power Transmission System« . Publication of the European Union. 2015 https://doi.org/10.2788/939973

Beggan, C. Sensitivity of geomagnetically induced currents to varying auroral electrojet and conductivity models. Earth Planet Sp 67, 24 (2015). https://doi.org/10.1186/s40623-014-0168-9

A. Pulkkinen et al. Geomagnetically induced currents: Science, engineering, and applications readiness. Space Weather, 15, 828–856, (2017). https://doi.org/10.1002/2016SW001501

Kataoka, R., Ngwira, C. Extreme geomagnetically induced currents. Prog. in Earth and Planet. Sci. 3, 23 (2016). https://doi.org/10.1186/s40645-016-0101-x

Jeffrey J. Love, Andrei Swidinsky. « Time causal operational estimation of electric fields induced in the Earth’s lithosphere during magnetic storms« . The Geophysical research letters. Vol 41, Issue 7. 2014.
https://doi.org/10.1002/2014GL059568

A. P. Dimmock et al. « The GIC and Geomagnetic Response Over Fennoscandia to the 7–8 September 2017 Geomagnetic Storm » AGU Advancing Earth and Spatial Sciences. Space Weather. Volume17, Issue7/
https://doi.org/10.1029/2018SW002132

ESA : Prévisions vents solaires et EMC avec le modèle MHD EUHFORIA et prévisions dB/dt sur l’Europe de l’ouest.

ESA – « Unravelling Earth’s magnetic field » – Swarm applications. 21/03/2017

Gouvernement du Canada – Service de traçage – Champ Géoélectrique.

By Cédric Moro

Auteur du blog I-Resilience, je suis depuis plus de 20 ans au service de la prévention des risques majeurs, surtout en Europe et en Afrique. J'allie cette expertise avec mes compétences de développeur d'applications, passé par des grandes boites IT, pour vous écrire ici des articles aux croisements de ces deux mondes.

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